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J’ai 45 ans, je travaille depuis 18 ans à la direction informatique de PSA Peugeot-Citroën, et ma septième vie commence aujourd’hui. Elle accompagne une petite révolution dans le Landerneau informatique.
Dans une entreprise comme PSA, une direction informatique est une direction de support. Le cœur du business de PSA est simple : il s’agit de concevoir, de fabriquer, de financer et de vendre des véhicules. La direction informatique, pour répondre à ces quatre métiers, était donc jusqu’à présent organisée en quatre Business Units (BU) principales. Une dernière BU s’occupaient des métiers supports (RH, Paye, Immobilier, …). L’infrastructure constituait le socle commun de ces BU. La direction informatique était un mal nécessaire…
Prenons une chose au hasard : par exemple, une voiture. Cette voiture (en tout cas à PSA) cela fait longtemps qu’elle est connectée. Les fonctions d’appel d’assistance et d’urgence sont arrivées dans nos véhicules au début des années 2000. Ce qui est relativement nouveau, c’est notre capacité à communiquer réellement avec nos véhicules et avec l’ensemble des smart devices ainsi que notre capacité à agréger et donner du sens à un grand nombre de données. Nos véhicules génèrent un ensemble de données (kilométrage, vitesse, position GPS, données de diagnostique, vitesse de balaiment des essuie-glaces, température, …) qui, agrégées et exploitée, peuvent donner lieu à de nouveaux services (carte instantanée des températures, des embouteillages, des précipitations ; alerte de maintenance, alerte de vol, positionnement du véhicule ; aide à l’éco-conduite, restitution des kilométrages pour un véhicule de service, …). Ces services peuvent être restitués sur l’écran du véhicule ou sur un smartphone. Et l’avenir, ou le smartphone lui-même pilotera le véhicule, est déjà là (pour vous en convaincre, demandez à Q).
Alors comment ça marche ? C’est très simple. Un petit boitier intégré à l’architecture du véhicule, est en capacité d’envoyer des données, et, avec une bonne dose de sécurité, de recevoir des commandes à transmettre aux actionneurs du véhicule. Ca, c’est la partie émergée de l’iceberg. La partie immergée, c’est-à-dire les systèmes capables de gérer l’état des boitiers à distance, d’ingérer en temps réel un ensemble monstrueux de données, de les traiter et de les restituer, c’est nous : la direction informatique. Et c’est exactement ainsi que la direction informatique devient un métier des projets véhicules, comme le motoriste ou comme le styliste. Pour répondre à ces besoins « métier », la direction a créé une nouvelle BU consacrée au véhicule et aux services connectés.
Je viens de la rejoindre cette BU pour m’occuper de la vie courante de l’iceberg.
Quand je suis entrée à l’ENSIMAG, la machine à vapeur existait, ainsi que la télé couleur. On ne croisait plus de chevalier dans les rues de la ville (même en province) mais Facebook n’existait pas et les téléphones avaient des fils. Le bug de l’an 2000 était notre seul horizon. Quel chemin parcouru pour arriver au cœur de ces nouveaux usages ? C’est cette histoire que je vous conte aujourd’hui.
Une orientation génétiquement programmée
Mes parents font partie des tous premiers étudiants en informatique, de ceux qui ont connu les pères fondateurs, à l'époque où cette technologie faisait ses débuts timides à l'université. Ils sont ensuite devenus tous les deux universitaires et informaticiens. Imaginez cinq minutes les repas de famille : vous y êtes ? OK. C’est donc vers l’âge de 7 ou 8 ans que je pris cette résolution définitive : ne pas devenir prof, et, surtout, ne jamais faire d'informatique. Serment pris avec le sérieux des enfants de cet âge, croix de bois, croix de fer, si je mens, ...
Un peu plus de dix ans plus tard, je rentrai à l'ENSIMAG. En deuxième année, ayant un intérêt très modéré pour le silicium et soupçonnant le « génie logiciel » d'être une sorte d'organisation paramilitaire, je choisis sans hésiter la filière "math appli". En troisième année je me décidai pour un DEA de calcul formel, en partie pour les beaux yeux d'un prof dont le charme aurait fait beaucoup, dit-on, pour la féminisation de ce secteur.
Dans le même temps. Je passai un concours assez confidentiel qui me permit d'accéder par l’entrée des artistes à l'ENS de Cachan. En plus d'être normalienne, ce qui fait bien dans les dîners en ville, je disposai d’un financement de 5 ans pour réaliser une thèse. Cinq ans plus tard, équipée d'un titre de docteur (qui ne me sert que lorsque je suis avec des fournisseurs allemands), d'une solide culture de la triangulation de matrices, d’une petite expérience de l’enseignement, d'une microfiche même pas pleine représentant cinq années de dur labeur, et d'une étonnante capacité à traquer la petite bête, je sonnai à la porte de 10 des plus prestigieux groupes industriels français.
Après trois entretiens techniques dont je ne compris pas un traitre mot, je débutai sur l’un des trois postes proposés à la direction informatique de PSA. Dans ces grands groupes, les fonctions sont bien définies, la chaine globale de production de valeur est morcelée et chacun est à sa place. Dans les PME, avec une toute petite direction informatique, c’est très différent. Le matin on est DSI, après le café on est chef de projet, juste avant midi on installe le nouveau serveur. A 14h on pilote un fournisseur, ensuite on devient développeur, puis acheteur de logiciel et juste avant de rentrer chez soi, on fait un peu d’architecture technique puis, pour faire bonne mesure, on publie les indicateurs qualité. Et le lendemain : rebelote. Moi qui aime bien le changement, je trouve ça un peu trop rapide tout de même.
En dix-huit ans, j’ai eu la chance d’occuper sept postes. La première partie de mon parcours au sein de l’entité études qui s’occupait des outils informatique pour les métiers de la recherche et du développement (la conception des véhicules). La deuxième partie au sein de l’infrastructure, sur les métiers du support au poste de travail.
J’ai débuté sur un projet de recherche qui étudiait les outils de simulation et spécification pour l’électronique embarquée. Puis j’ai encadré la qualité des projets (très formateur, l’idée étant de demander à des chefs de projet de travailler en respectant un processus défini, avec des plannings, des jalons de décision et des comptes-rendus de réunion ; bref, toutes ces choses que l’on demande au maitre d’œuvre de notre maison mais qui deviennent « un tas de paperasse inutile » quand il s’agit de se l’appliquer à son propre projet). J’ai ensuite animé une petite équipe d’ingénieurs, puis une deuxième, toujours aux études. Nous mettions à disposition des outils de conception et de gestion de configuration de l’architecture électronique embarquée dans les véhicules (Hardware, Software, réseau et trames).
Après neuf ans dans cette entité étude, j’ai traversé l’open-space pour passer du côté obscur de la force : j’ai rejoint l’infrastructure. A l’infrastructure, il n’y a que de vrais informaticiens (de ceux qui aimaient le silicium en deuxième année d’ENSIMAG). A PSA, on est dans l’industrie automobile, mais ne le dites pas aux gens de l’infrastructure, les Mo et les MIPS n’ont pas d’odeur, et encore moins celle de l’huile de vidange. Enfin, c’est tout à fait ce que je croyais avant de les rejoindre. J’ai pris en charge la responsabilité de l’équipe de support au poste d’un de nos centres de conception : vingt techniciens, près de 8000 postes de travail, 200 incidents et 50 opérations de parc (dotation ou restitution de poste) par semaine. Parfois aux études il m’était arrivé de me demander si mon travail était vraiment plus concret que si j’étais resté dans la recherche. A ce poste, jamais. L’équipe abattait un travail utile et nécessaire, assez peu valorisé pourtant J’y ai gagné mes premiers demi-galons de manager de proximité (entretiens, promotions, rallonges, gestion des conflits, organisation, changements, messages difficiles, accompagnement de carrière, etc.) Je retiens de ce poste, moins la gloriole d’être chef que le réel sens des responsabilités que nous devons à nos équipes. J’ai ensuite animé en transversal l’ensemble des équipes de support au poste (en transversal, cela veut dire sans responsabilité hiérarchique, ce qui demande finalement pas mal de doigté). L’année dernière, l’entreprise a décidé d’externaliser la fonction de support au poste. De mon côté, j’ai accepté d’accompagner ce projet difficile, dont l’issue pour certains de mes collègues fut de rejoindre la société extérieure qui a repris l’activité.
Il parait que je suis de la génération X, ceux qui « ne donnent pas tout à leur travail parce qu’on a vu les autres se faire baiser » me dit mon conjoint, sociologue-poète à ses heures. OK, je veux bien être X, mais alors X tendance W : du tout début des X. J’ai deux enfants (dix-huit et quinze ans), un conjoint cadre lui aussi, et nous travaillons en région parisienne. Nous n’avons aucun problème matériel, mais, oui, trajet-boulot-garde d’enfant-dodo (au fait non pas dodo : le bébé pleure), c’est une réalité. Alors on fait comme on peut, on trouve des solutions d’ingénieur : la moto pour moi, la sortie du jeudi soir programmée avec la babbysitter tous les jeudis même s’il fait froid et qu’on ne tient plus debout (elle venait avec son garde du corps pour nous mettre dehors) pour garder des relations de couple. Une petite dose de 4/5ième pendant 10 ans (très bien acceptée par mes chefs successifs), les congés payés, les papy-mamy et un conjoint qui accompagne les enfants chez le toubib. Et puis les enfants grandissent, et la moto n’est plus là que pour le plaisir.
Cet Internet des Objets qui entre en force dans la voiture, c’est une nouvelle aventure pour moi. Qui aurait pu penser que mon parcours me conduirait là, pile poil dans l’actualité de notre technologie ? Pourtant, à bien y regarder, ce nouveau job est une synthèse parfaite des deux périodes précédentes : mes débuts à servir les métiers de l’électronique embarquée dans le véhicule, et l’acquisition des processus de gestion des incidents et de gestion de parc lors de mon passage au support au poste. A ce nouveau poste, je vais devoir assurer ce que l’on appelle « la vie courante » de ces nouveaux services liés au véhicule connecté, ce qui veut juste dire : « il faut que ça fonctionne ». J’aurai à la fois la responsabilité hiérarchique d’une petite équipe mais aussi la tâche d’animer en transversal l’ensemble des équipes de la direction informatique qui concourent au résultat attendu. Beaucoup de choses sont déjà en place, mais d’autres restent à construire ou fiabiliser : mise en place d’indicateurs préventif, fiabilisation des circuits curatifs et des circuits d’assistance ou des processus de crise éventuel. Fiabilisation de nos outils de gestion de parc (gestion des contrats, mise à jour des boitiers embarqués, activation des services). Et cette fois-ci, je serai au cœur du business de l’entreprise.
Je n’ai pas « construit ma carrière ». A vrai dire, je n’ai jamais vraiment su où j’allais. Ce que j’ai su assez rapidement en revanche, c’est comment je voulais y aller : en changeant régulièrement, en apprenant toujours et en m’amusant si possible. Une « carrière » c’est un drôle de truc. C’est un peu comme une bouteille de bon vin… Il faut un bon cépage (ça c’est vous), un bon ensoleillement (ça c’est l’ENSIMAG), et une bonne cave (ça c’est l’entreprise). Surtout, assurez-vous que votre cave soit la bonne pour vous : il y en a qui vous transformerait un Clot Vougeot en vinaigre. Mais ces trois ingrédients ne suffisent pas, le principal, mais vous l’apprendrez plus tard, c’est le temps de maturation.